Je me souviens encore de ce jour … Ce jour-là, le ciel était d’un bleu océan. Quelques nuages le remplissait, mais rien de bien méchant, juste de quoi cacher le soleil qui était venu réchauffer l’atmosphère envahie par la mort. Je suis assis au bord d’une falaise, placé devant mon pick-up, la main caressant doucement le pelage soyeux de mon nouvel ami à quatre pattes que j'ai appelé "Shavonne". Je suis posé là, les yeux fixant le vide sous mes pieds. Puis, une respiration et enfin, une voix. Une voix masculine vient me sortir de mes pensées.
Quel temps magnifique. Je pourrais rester là des heures à contempler l’horizon. Sur le moment, je ne réponds rien. Je n’ai pas la tête à répondre à quelconque paroles. Les yeux fixant le vide, je les relève pour à mon tour fixer l’horizon. Je t’admire … Peu importe les circonstances qui nous entoure, tu trouves toujours le moyen de rester positif. J’ignore sincèrement comment tu fais pour garder cette bonne humeur constante Slade. Mec, on est en vie ! Que demander de plus !?

Que demander de plus ? Peut-être que les autres personnes que nous aimions puissent elles aussi avoir cette même chance ? Je ne peux m’empêcher de rester songeur face à cette réalité qui demeure désormais morte comme la plupart des cadavres qui jonchent les lieux. Calmement, je dirige mes yeux sur Slade et son regard triste qui me fixe, est suffisamment clair pour que je comprenne ce qu’il est en train de penser. Avec Slade, ça a toujours été comme ça. J'ai toujours pu lire en lui comme dans un livre ouvert et cela était réciproque. D’ailleurs, notre groupe de rock avait été une idée que nous avions tissé lorsque nous étions encore au bras de l’armée… il n'a jamais été le plus fort là-dessus. Car malgré les années à me supporter et à m’observer, jamais il n’a su arriver à la cheville de ma petite sœur : Lyssa. Entre elle est moi, un lien invisible et indestructible nous unissait. Il était puissant, peut-être même aussi puissant que l’amour que j’ai porté pour ma défunte compagne. Pourtant, même elle, n’avait jamais su lire en moi aussi facilement que Lyssa et Dieu seul sait à quel point je tenais à elle également. Ça devait être ça l’amour …  Je n’ai jamais vraiment pris le temps de comprendre l’amour et en même temps, l’amour est juste à accepter, pas à comprendre. Du moins, c'était ce que je croyais jusqu’à ce jour, ou les larmes qui coulèrent sur mes joues me firent comprendre que sans celles que j’aimais d’un amour si fort mais à la fois si différent, je ne valais pas mieux que ces carcasses qui errent dans la nature à la recherche de chair humaine.

Perdu dans mes pensées, je fixe Slade qui pose sa main sur mon épaule pour me donner une tape ferme, virile mais à la fois réconfortante. Il s’assoit alors à côté de moi et se met à fixer l’horizon à son tour. J’ose imaginer à quel point ce que tu vis doit être dur pour toi Nyx. Et sache que malgré ce que tu peux bien penser en ce moment, tu n’es pas seul. Son regard lâche l’horizon et se dirige sur moi. Je ne suis peut-être pas Lyssa, mais sache que si elle avait été là avec nous, elle aurait voulu que tu t’accroches, que tu avances comme tu as toujours su le faire dans les moments difficiles. Tu es et a toujours été un modèle pour elle et tu le seras à jamais tout comme tu étais un homme pour Abby. Sur le coup, je ne peux m'empêcher de ressentir de la colère. Une colère que je ne saurai expliquer et qui surtout, n'est pas directement dirigée contre Slade. Je suis conscient que ses mots sont dit dans le but de m'encourager et non de me démolir. Non en fait, cette colère est contre moi-même ... Mais ça, Slade ne peut pas le deviner car il n'est pas au courant de comment Lyssa est morte. T’as dû buter un être cher Slade ? Lui demandais-je avec un soupçon d'agressivité incontrôlée dans la voix. Moi j’ai dû et c’est de ma faute… Car je n’étais pas là pour la sauver de la mort qui l’épiait ! Ma respiration se fait courte, j’expire alors un grand coup et regarde Shavonne qui dors paisiblement. Je marmonne alors : On dit que le temps guérit les pires blessures mais j’ai peur de guérir. J’ai peur de l’oublier … De les oubliers. Les mots s'étranglent dans ma bouche, je suis incapable d’ajouter quoi que ce soit. Une boule pèse dans ma gorge mais aucunes larmes et aucuns sanglots ne réussissent à sortir de mon être. Je reste ainsi, totalement immobile, sous le regard impuissant de mon meilleur ami qui n'ose dire un seul mot.

Au précipice de la folie, Slade est désormais la seule lumière qui m'empêche de succomber au vide qui me prend. C’est à lui et à lui seul, que je me rattache à la vie … Car depuis ce jour ou 2 autres de mes étoiles les plus belles disparurent, mon cœur ne fait que les pleurer. Lyssa mais aussi Jordan… Jordan, cette fille avait le chic de réchauffer mon cœur d’une manière presque aussi semblable que celle de mon ex compagne. Aujourd’hui encore lorsque j’y pense, cela reste assez perturbant. Elle était pourtant jeune, mais du haut de ses 29 années, elle était dotée d’une maturité et d’un charisme hors pair …

Je me tourne vers lui et dis d’une voix remplie de tristesse : L’ homme est bien trop vaniteux. A vouloir contrôler la vie et la mort, nous payons aujourd’hui le prix de notre arrogance. Nous ne sommes pas des anges. Nous sommes né de la terre et non pas des cieux. Poussière nous étions, et poussière nous redeviendrons. 7 milliards d’êtres humains meurent dans l’indifférence de cet univers froid et stérile. Toutes ces vies gâchées, tous ces espoirs broyés dans le ventre de leur mère! Les rues sont mortes Slade. Et moi je meurs de les voir mortes autant que moi. Mon meilleur ami ne répond rien, il a la mine grave. Il sait que dans ce genre de circonstances, le silence est la meilleure des réponses à donner. Et bon après, je pense que face à tant de nihilisme, il n’y a rien à répondre surtout. Finalement, je me lève sans dire un mot et me dirige vers deux tombes, placées au pied d’une jeune pousse d’érable. Tristement, je m’accroupi entre les deux tas de terre et pose ma main sur l’une d’elles comme dans une vaine tentative de joindre une dernière fois ma sœur. Pardonne-moi … Je n’ai pas été à la hauteur. Mon visage se tourne alors dans la direction de la seconde tombe. Je retrouverai Jordan. Tu as ma promesse Jared ! Très rapidement le chien que j’ai adopté, Shavonne, se rapproche de moi et me lèche la joue tout en y frottant son museau humide. Je lui octroie alors une douce caresse et fini par diriger mon regard sur les deux croix en bois, sur lesquelles y sont écrits les noms de ma sœur et de son fiancé. Si je devais m'écouter, je resterai éternellement devant eux, quitte à les rejoindre. Mais Slade en décida autrement … A son tour, il s’accroupit à mes coté et vint planter une fleur sur chacune des tombes avant de me poser la main sur l’épaule. Allez mon pote, je sais que ce que tu ressens est lourd et douloureux mais rester là à ressasser ne fera que te détruire d’avantage. Il finit par se lever et se dirige vers le pick-up pour ouvrir la porte du côté passager, m’invitant à m’y installer. Un long voyage nous attend ... Et puis, tu as une promesse à tenir je te signal !

J’acquiesce ses mots en silence et pour la dernière fois, je viens poser mes mains sur les tombes pour adresser un dernier et ultime adieu à ma sœur cadette tant aimée ainsi qu’à Jared, l’homme qui a su combler son cœur depuis tant d’années. Je finis alors par me diriger vers le pick-up où m’attend Slade, mains déjà posées sur le volant et m’installe sur le siège côté passager, laissant Shavonne, notre fidèle ami à quatre pattes, s’installer entre nous. C’est à partir de là, que l’aventure a commencé ...