Emma s’imaginait déjà sur la route pour rejoindre le bateau de Pyrites, pour sûr qu’elle voudrait prendre part à une telle expédition ! Ce serait un peu comme une chasse au trésor grandeur nature. Rien que d’y songer, ça lui flanquait un sourire jusqu’aux oreilles, lui rappelant sa jeunesse passée à vagabonder dans la campagne à la recherche d’aventures et d’images inoubliables. Elle en avait fait des heures de marche, un appareil photo jetable dans la sacoche et un carnet à la main afin de ne rien oublier de ce qu’elle voyait et de pouvoir se replonger dans les lieux qu’elle avait découverts. C’était la douce époque de l’innocence et des rêves plein la tête et mine de rien, la légèreté de ces moments-là lui manquait.

« Barbosa est bon délire ! Il m’a toujours fait beaucoup rire malgré son côté un peu grincheux, mais non, effectivement, je t’imaginais plus en amateur de rhum ! », elle avait ri en le voyant sur jouer cet air outré et puis, rapidement elle s’était remise au boulot. Aussi plaisants soit cette petite conversation, ils ne sortiraient pas d’ici en bavassant !

Peu de temps après, elle était tombée sur quelque chose qui n’avait rien de caillouteux et elle appela Pyrites pour qu’il vienne l’aider, à deux ils dégageraient bien plus facilement la personne qui se trouvait sous ces gravats. Exultant en sentant le cœur de Julien battre dans sa gorge, cette découverte lui redonnait espoir sur le fait de pouvoir s’en sortir tous indemne ! Quoique… Autant de chance, était-ce envisageable ? Mais ne dit-on pas que cette dernière sourit aux audacieux ? Si, et du courage, aucun d’eux n’en avait manqué en acceptant de venir fouiller ces dédales datant de milliers d’années. Cependant, Julien était dans un piteux état et il lui fallait des soins en toute urgence. Sa conscience venait de se réveiller. Devaient-ils essayer coûte que coûte de sauver les deux au risque de ne remonter à la surface qu’avec cinquante pourcents de l’effectif ? Emma se mordait les lèvres alors qu’elle demanda à Pyrites de prendre une décision qui lui sembla soudainement au-dessus de ses forces. Une risette discrète était venue fleurir ses lèvres à sa réponse… Il dégoulinait d’optimisme tandis qu’elle, elle commençait à douter, les rôles se seraient-ils inversés ?

« Merde ! Tu as raison, on va les tirer de là tous les deux ! », baisser les bras ne faisaient pas vraiment partie de son caractère, mais depuis quelque temps, la jeune femme avait tendance à se laisser aller à l’hésitation. Bien qu’elle fasse en sorte de ne pas le montrer, l’incertitude de ce nouveau monde l’effrayait et la crainte de voir les morts continuer à s’amonceler lui fendait le cœur et lui donnait l’envie de s’enterrer profondément pour ne pas avoir à voir le carnage qui semblait inévitable.

La décision de son compagnon de galère lui convenait parfaitement, ils n’allaient pas laisser l’un des leurs derrière eux, mais le sourire d’Emma avait perdu de sa superbe en sentant qu’on lui attrapa la cheville alors que lui sortait déjà son couteau, prêt à en découdre avec un mordeur.

« Py... », elle baissa lentement la tête tout en attrapant le bras de l'homme en face d'elle et puis, finalement elle souffla de soulagement. « Punaise Julien ! Tu m’as fait peur... », Emma avait légèrement haussé le ton sous l’effet de la surprise avant de s’accroupir pour déposer délicatement sa paume sur la joue du jeune homme qui venait de ramper jusqu’à eux. « Tout va bien, on va te sortir de là, mais avant, il faut qu’on retrouve Steve. », tout en gardant son regard ancré dans le sien, elle fouilla dans son sac à dos à la recherche de sa gourde et après avoir réinstallé Julien à l’abri aussi loin que possible de l’éboulement, elle l’aida à boire quelques gorgées tout en lui disant de rester tranquille.

De retour face au tas de pierres, elle s’acharna à nouveau à déblayer le plus vite possible en compagnie de Pyrites. Le silence avait repris sa place, sans doute étaient-ils tous deux inquiets de la suite des événements. Dans quel état allaient-ils retrouver le dernier comparse ? Leur restaient-ils encore beaucoup à creuser pour retrouver le chemin emprunté et puis, la question que tout le monde se posait depuis le début de cette excursion : qu’est-ce qu’il y avait à l’autre bout de ce tunnel ?

« A ton avis, on va tomber sur quoi ? », jetant des coups d’œil régulier en direction du blessé, elle avait chuchoté sa question alors qu’elle stoppait ses mouvements. « On ne peut pas se permettre de trouver un cul-de-sac… Il ne tiendra pas longtemps dans cet état-là et… Et je ne suis pas sûr qu’on ait la force de débloquer le chemin dans le sens inverse. », ils n’étaient que deux encore aptes au travail et Emma sentait la douleur irradier de ses muscles, sans parler de ses mains en sang qui ne pourraient jamais refaire le même labeur avec l’éboulement qui s’était produit dans leur dos pour leur boucher la voie qu’ils avaient emprunté à l’aller. « Les Mayas étaient de grands adeptes des pièges en tout genre et des labyrinthes. Ils raffolaient également des portes dérobées et des passages secrets dont eux seuls avaient connaissance et certains explorateurs ont mis des années avant de les découvrir dans des ruines qu’ils passaient au crible depuis des lustres. Le temps est un luxe qu’on ne peut pas s’offrir. ». Elle s’était relevée, tâtonnant les murs de ses paumes abîmées, scrutant le moindre recoin, passant ses doigts de haut en bas des parois, agrippant des pierres qui lui semblaient étrangement placées. « Peut-être qu’on devrait changer de stratégie et chercher un passage qu’on ne suspect même pas. », pleine d’espoir, Emma se mordait la lèvre inférieure tout en essayant de se rappeler de certains ouvrages qu’elle avait lus concernant l’architecture de la civilisation Maya. Tout ceci était hypothétique et rempli d'incertitude mais creusé sans jamais en voir la fin devenait compliqué et si c'était inutile ? Voué à l’échec ? Il n'y avait peut-être aucune échappatoire de ce côté-là !

Emma s’occupait de Julien comme elle l’avait fait avec chacun de ses compagnons de voyage, à croire qu’elle avait un instinct de protection surdéveloppé, et ce, principalement pour les personnes l’entourant. La jeune femme avait toujours eu tendance à penser d’abord aux autres avant de se concentrer sur elle-même et si cette pandémie avait changé bien des choses, elle n’était pas venue à bout de son envie, de son besoin d’aider ses congénères, de prendre soin d’eux si nécessaire. Dans le monde d'avant, c'était là une véritable qualité, mais désormais, c'était l'une de ses plus grandes faiblesses, avoir un cœur trop grand et trop d'empathie rendait tout tellement plus compliqué à présent. Après avoir aidé le jeune homme à s’hydrater, elle mit de côté la douceur pour se remettre au boulot, s’acharnant à nouveau à déblayer tandis que le silence avait repris sa place entre Pyrites et elle. Elle se posait des dizaines de questions sur la suite de cette expédition, clairement, aucun d’eux n’avait envisagé que les choses se dérouleraient de la sorte et elle préférerait éviter de nouvelles surprises, et pour cela, il lui fallait réfléchir à différentes possibilités. Son cerveau était en marche et rapidement, elle fit part à son acolyte de labeur de ses interrogations tout en déballant tout ce qu’elle savait sur la civilisation Mayas. Qui sait, en y réfléchissant à deux, peut-être leur viendraient-ils une idée lumineuse.

Des bains à vapeur ? Mais oui, bien sûr ! Pourquoi n’y avait-elle pas pensé ? Le système d’aération hypothétiquement mis en place par les Mayas leur offrirait une porte de sortie idéale, mais encore fallait-il atteindre le lieu et surtout, il fallait que cette supposition soit la bonne. Rien n’était sûr, ils pouvaient tout autant se retrouver face à une paroi nue de toute utilité, un simple piège mis en place à l’époque pour créer une voie sans issue et ainsi empêcher la fuite d’ennemis.

Emma ria légèrement à la remarque de Pyrites, « Franchement ? Non pas que l’idée ne soit pas tentante, mais je préférerais profiter de toi encore des années ! Et si on pouvait être vivant et à l’air libre, ce serait un petit bonus non négligeable. ». Accompagnant sa phrase d’un clin d’œil, la jeune femme avait abandonné le déblaiement et se mit à chercher une autre solution en scrutant les murs. Alors qu’elle avait arrêté de retirer les pierres de l’éboulement et qu’elle annonçait la difficulté que certains explorateurs chevronnés avaient pu rencontrer en farfouillant dans des lieux similaires, une petite pointe d’angoisse commença à faire son chemin et elle s’était levée afin de d’essayer de trouver une porte dérobée, une sortie à côté de laquelle ils étaient passés. Ce n’était pas que l’inquiétude qui guidait ses gestes, Emma savait parfaitement que ceux qui avaient construit ce temple avaient l’art de dissimuler tout un tas de secrets au milieu des murs et elle espérait bien tomber sur l’un d’eux !

Elle se retourna vers lui rapidement avec un sourcil relevé. Claustrophobe ? Absolument pas ! La jeune femme avait toujours préféré les grands espaces et la vie en plein air, mais se retrouver enfermé n’était pas le genre de chose qui l’inquiétait, en tant que futur archéologue, la claustrophobie aurait été un comble ! La situation lui semblait inextricable, son habituel optimisme l’avait quitté le temps d’un instant de doute et elle sortit de sa légère torpeur uniquement lorsqu’elle sentit une main se déposer sur son épaule. Sa confiance, Emma l’avait toujours donnée sans se poser trente-six mille questions, cela lui avait d’ailleurs joué des tours dans le passé et depuis quelque temps, elle se faisait un tantinet plus méfiante alors c’est un peu hésitante qu’elle tendit sa main en direction de Pyrites avant qu’un sourire ne vienne fleurir sur ses lèvres ; de l’eau !

« Tu te rends compte qu’il est hors de question que je reste tranquillement les fesses posées par terre pendant que tu termines le boulot ? », elle l’avait rejoint près des décombres, son ton était rempli d’amusement tout en étant péremptoire, jamais elle ne le laisserait seul face à ce monticule de gravats. « Qu’est-ce que tu veux dire quand tu insinues que le plus dur reste à venir pour moi ? », les devinettes, elle avait toujours apprécié ça, mais là, ce n’était pas le moment de parler par énigmes. Il semblait avoir un plan et ils formaient une équipe alors tandis qu’elle attrapa une nouvelle pierre, elle lui lança un regard du coin de l’œil, « Et si tu me disais ce qu’il y a dans ta tête ? ». Elle l’écouta attentivement, son idée était loin d’être invraisemblable et sans même s’en rendre compte, les mains d’Emma s’activèrent plus rapidement, elle ne sentait plus la douleur qui en émanait, seule comptait le fait qu’ils avaient une réelle chance de sortir d’ici vivant. Elle hocha la tête pour lui faire comprendre que oui, elle voulait entendre la nouvelle qu’il avait à lui annoncer et elle stoppa l’espace d’une seconde ses mouvements en imaginant Steve en rôdeur puis, comme pour ne pas montrer que cette image la touchait plus que de raison, elle laissa échapper un léger rire, « Quelle question ! Magne-toi un peu, j’ai hâte que chacun de nous quatre puisse respirer le bon air frais de Cancun ! ».

Plus ils s’activaient, plus elle pouvait sentir un petit vent s’infiltrer entre les pierres ce qui voulait obligatoirement dire qu’il y avait bel et bien quelque chose à trouver derrière ces roches. La fatigue ne semblait plus avoir de réelles emprises sur eux, sans doute que l’adrénaline avait pris le dessus et malgré l’incertitude de leurs avenirs, Emma voulait croire que tout se terminerait bien. Après avoir enlevé une pierre, ses yeux furent immédiatement happés par le trou se trouvant en lieu et place de celle-ci.

« Pyrites, viens voir par là ! », faisant un signe de la main pour qu’il s’approche, elle pointa l’intérieur de l’orifice avant de le regarder, les yeux écarquillés de joie et un sourire barrant son visage. « Les bains ! Tu avais raison, il y a des bains ! », son enthousiasme prit le dessus, elle passa sa main dans les cheveux de l’homme, les ébouriffa afin de faire tomber un peu de la poussière qui les avait rendus blancs et rigola franchement avant de regarder à nouveau leur trouvaille pour s’assurer de ne pas avoir rêvé. « Allez, au boulot, on touche au but ! ».

Redoublant de volonté, il ne leur avait fallu que quelques minutes avant de se frayer un passage par lequel ils rampèrent. En arrivant dans la pièce, Emma était abasourdie, le lieu était splendide, elle avait déjà vu ce genre d’image par centaines dans ses bouquins, mais être là, pouvoir l’admirer de ses propres yeux, c’était tout bonnement incroyable ! Mais elle n’était pas là pour faire du tourisme et puisqu’ils avaient laissé Julien derrière eux le temps de s’assurer qu’aucun danger ne se trouvait dans la salle, les deux comparses se mirent rapidement à fouiller les lieux. Puis Pyrites était retourné le chercher afin de lui faire emprunter le même chemin qu’eux. Le passage était étroit et le faire glisser le long des parois caillouteuses et incertaines n’était pas simple, surtout que les gémissements de douleur du jeune homme sonnaient comme une comptine affreuse mais ils n’avaient pas le temps de faire mieux, ni l’énergie. Emma se trouvait du côté des bains tandis qu’elle saisissait les épaules de Julien pour le tirer jusqu’à elle en grimaçant face à ses complaintes, « C’est douloureux, je sais, mais tu as fait le plus dur, ok ? On est presque sorti de là alors lâche pas maintenant. ». Attendant que Pyrites les rejoigne, elle était assise par terre, le dos du jeune homme reposant contre sa poitrine alors qu’elle lui chuchotait ces quelques mots à l’oreille dans le but de l’apaiser et de lui faire garder espoir. Lorsqu’elle entendit du bruit derrière elle, elle installa Julien contre les gravats en lui disant de rester tranquille pendant qu’elle sortait un petit couteau de son sac, ce genre d’expédition n’étant pas propice à son arme de prédilection, l’arc. Elle avait fait quelques pas avant de se retrouver au centre de la pièce quand elle était tombée face à Steve, « Te voilà enfin ! Tu vas bien ? ». S’approchant de lui d’un pas assuré, son corps se figea alors qu’elle remarqua le regard vide du garçon quand elle se trouva tout près de lui, était-ce simplement dû à la fatigue où l’avaient-ils perdu définitivement ?

Les joues de la jeune femme avaient légèrement rosi sous le compliment. Belle… Bon dieu, Emma n’avait pas l’habitude d’entendre ce mot lui être destiné et jamais elle ne l’aurait employée pour se décrire ! Elle remercia intérieurement l’univers de se trouver ici, entre la pénombre et la poussière, son coéquipier ne devrait rien remarquer de la gêne qui s’affichait sur son visage. Elle se concentra rapidement sur les explications de Pyrites, le but de l’expédition était donc de découvrir des bains, c’était une idée intéressante qui permettrait au groupe de survivants d’avoir une excellente cachette en cas d’attaque ingérable. Si l’endroit était aussi vaste que ceux décrits dans ses bouquins, le lieu serait parfait pour recueillir les plus faibles du clan et ainsi les mettre à l’abri durant une bataille. Une partie du plan ne lui plaisait guère, se séparer du reste du groupe ne lui semblait pas être une idée merveilleuse, mais la jeune femme n’exprima pas ses doutes, préférant réfléchir à la situation ainsi qu’aux autres options qui s’offraient à eux tandis que les deux compères reprenaient leur dur labeur. Pierre après pierre, le déblaiement avançait. Les mains abîmées, les genoux écorchés, les muscles fatigués mais une envie farouche de poursuivre afin de s’en sortir, tous ensemble, à quatre et ce, malgré le fait que Steve restait encore introuvable. Beaucoup auraient traité Emma d’utopiste en l'entendent s’acharner à parler de leur petit groupe d’expéditionnaires, elle partait du principe que rien n’était perdu tant que la vie ne vous en a pas prouvé le contraire alors pour l’instant, ses yeux ne s’étant pas trouvé en face d’un cadavre ambulant ou juchant au sol, elle avait espoir que chacun s’en sorte ; ils auraient des bleus, des douleurs, peut-être même que certains d’entre eux flipperaient désormais de se retrouver enfermé à l’étroit dans une pièce, mais ils seraient vivants !

Leur dur labeur fut récompensé par un trou d’air, une porte d’entrée sur ce qu’ils étaient venus chercher ! Les bains, ils étaient là, derrière cette paroi caillouteuse alors c’était avec entrain qu’ils avaient repris le retrait des pierres. La fatigue semblait avoir quitté le corps de la jeune femme, ne couraient dans ses veines plus que la motivation et l’envie de découvrir plus précisément ce qui se cachait derrière cet éboulement. Enthousiaste à l’idée d’avoir mis la main sur ce qu’ils cherchaient, le temps parut filer à vive allure, ils laissèrent derrière eux Julien tandis qu’ils s’assuraient que la salle des bains était sûre. Les yeux de l’apprentie archéologue n’en revenaient pas, le lieu était splendide, elle en était sans voix, muette face à tant de beauté d’antan. Quand ils furent certains que tout était sans danger, Pyrites alla aider le blessé à les rejoindre. Emma le hissa le plus délicatement possible dans le passage étroit avant de le serrer contre elle pour lui murmurer des paroles rassurantes dans le but de faire cesser ses complaintes gémissantes.

Un bruit la fit sursauter, elle installa Julien en lui disant de rester calme avant de se munir d’un petit canif et de se lever pour observer les alentours. Un sourire vint poindre le bout de son nez au milieu de son visage, « Steve ! ». D’un pas rapide et assuré, la brune se dirigea vers lui tout en le questionnant sur son état physique. Aucune réponse, aucun mot en retour, rien. Elle stoppa ses mouvements en remarquant le regard du garçon, il était vide, mais peut-être était-ce dû à la fatigue alors elle amorça à nouveau un mouvement dans sa direction avant de se figer lorsqu’un frisson parcourut son échine. Le sifflement caractéristique d’une balle fendant l’air venait de résonner dans son dos puis un bruit sourd qu’elle reconnaîtrait entre mille s’ensuivit. Elle aurait pu parier avant de se retourner qu’un corps venait de s’échouer au sol et lorsqu’elle pivota et que son regard tomba directement sur ce dont elle était convaincue, elle sentit les larmes venir obscurcir sa vision. Relevant la tête, elle aperçut Pyrites au loin, visant de son arme à feu dans sa direction et elle secoua légèrement la tête de gauche à droite. « Non. Ne fais pas ça... », sa voix était faible, suppliante tandis qu’elle levait les mains pour lui faire signe de reposer son arme. Rien n’était perdu, du moins c’est ce qu’elle voulait croire, mais le coup était parti, la balle avait sifflé et Emma s’était précipitée vers leur compagnon de route. « Non. Non, non, non. Non, non ! Tu n’aurais pas dû faire ça ! Je.. Il était... », ses mains parcouraient le corps sans vie, sans doute à la recherche d’une étincelle pouvant le ramener d’entre les morts. Les yeux écarquillés, elle regarda le bras de Steve après que le tireur le lui ait indiqué, on pouvait y voir une morsure nette et précise ne laissant aucun doute sur la nature de ce qu’il était devenu. « Je suis désolé. », les épaules baissées en comprenant qu’il n’y avait plus rien à faire pour lui, elle passa ses doigts tremblants sur le visage du défunt pour lui fermer les yeux en murmurant avant de se relever en serrant les poings. C’était un cadavre de plus qui venait s’ajouter à la liste de ceux qui la hantaient déjà régulièrement. Depuis le temps, la jeune femme aurait dû s’habituer aux pertes humaines, mais c’était plus fort qu’elle et la culpabilité allait la ronger, elle le savait ! Le souvenir de ses compagnons disparut était en train de refaire surface et ce n'était clairement pas le moment pour cela ! Les mots se voulant rassurants de Pyrites ne firent que l’agacer et elle plongea son regard au fond du sien, le visage fermé et la voix rendue rauque tandis qu’elle contenait ses larmes, « Au top ? Tu plaisantes, j’espère ! On va rentrer au campement trop peu nombreux. Ça ne devait pas se dérouler comme ça... ». Habituellement Emma ne se laissait pas submerger par ses émotions en public, elle avait toujours préféré montrer sa force plutôt que ses faiblesses mais dans ce nouveau monde, tout avait été chamboulé et depuis que le petit groupe d’étudiants avait rejoint les Ruinards et qu’elle ne devait plus jouer les cheffes d’orchestre, elle avait tendance à être à fleur de peau, comme si le fait de ne plus être aux commandes lui avait enlevé cette armure qu’elle avait dû porter pendant de longs mois. Était-ce la situation qui la rendait incapable de maîtriser ce pincement au cœur ? L’enfermement et la peur partagée de ne pas sortir de là ? Elle se laissa guider sans opposer de résistance et surtout sans donner son avis sur la suite des événements et quand ils se stoppèrent, elle leva les yeux en direction du plafond avant de sourire doucement à Pyrites. « Il ne me manque plus que la tresse et je serais prête à sauver vos deux paires de miches. », son enthousiasme avait disparu en même temps que la lueur de vie dans les yeux de Steve, mais faire un trait d’humour lui permit de mettre de côté l’amertume de cette nouvelle perte et elle se concentra sur ce qu’il restait à faire. « L’accès est trop haut, c’est impossible que tu parviennes à me pousser jusque-là. Il faudrait qu’on trouve de quoi grappiller quelques centimètres. », parcourant la pièce du regard à la recherche du moindre objet capable de les surélever, elle bloqua un instant sur Steve avant de passer outre. Il fallait passer à autre chose, faire abstraction de cet échec et avancer.  

« On va devoir trimballer des pierres, encore. », entasser des morceaux de ruines pour se créer un banc était la seule solution envisageable alors, mécaniquement elle commença à transporter ce qui composait avant un édifice rempli d’histoire. Si on lui avait un jour dit qu’elle jouerait à démonter l’œuvre d’une ancienne civilisation, jamais elle ne l’aurait cru ! Mais à la guerre comme à la guerre, c’était leur seule chance de sortir d’ici. Il ne fallut pas longtemps avant d’accumuler suffisamment de hauteur, « Ça ne sera sans doute pas hyper stable mais on n’a pas le temps de faire mieux. ». Julien s’était endormi, ses traits étaient tirés par la douleur et Emma se rapprocha de lui pour déposer sa main sur sa joue. « On va te sortir de là, tient le coup ! », la mâchoire serrée, elle se retourna vers son acolyte de galère plus déterminée que jamais. « Allez, au boulot ! », leur marche-pied artisanal trembla sous le poids des deux compères, ils manquèrent de se retrouver les fesses par terre à deux reprises, mais finalement, ils trouvèrent une certaine stabilité permettant à la jeune femme de se hisser sur les épaules de l’homme. « Il ne manque que quelques centimètres ! », les bras tendus, les yeux rivés sur le passage et la lèvre inférieure pincée par ses dents, elle parvint à crocheter le rebord du trou faisant office d’aération avant de parvenir à y grimper. À genoux dans le tunnel aérien, elle regardait le sol, souriant à Pyrites en levant le pouce, « Je reviens rapidement, soyez sage ! ». Et elle disparut, commençant à ramper afin de venir en aide au plus vite à ses équipiers.